Dominique Denis

Teaching French as a second (or foreign) language with songs.

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PARLONS CHANSON AVEC…CAMILLE HARDOUIN

January 16, 2018 by Dominique Denis Leave a Comment

Entrevue courriel préparée par les étudiants du cours Parlons chanson avec Dominique Denis, les 20 et 21 novembre 2017, au terme de l’étude de la chanson Les Pirates.

Photos: Maya Mihindou

« Merci infiniment de vous être intéressés aux Pirates, c’est une chanson si joyeuse, je l’aime beaucoup et j’espère qu’elle vous a plu aussi. Je vous souhaite beaucoup de joie dans cet apprentissage du français en langue seconde et je vous dis à très très bientôt! J’espère qu’un jour je viendrai chanter à Toronto! »

— Camille Hardouin

 

Vous avez grandi au sein d’une famille qui gravitait vers les domaines scientifiques, mais vous aviez une imagination très libre et aventureuse. Votre famille appréciait-elle la manière dont s’exprimait votre liberté personnelle?

Au départ, ma famille était un peu inquiète, mais tout le monde a été aussi encourageant que possible dès qu’ils ont un peu plus compris ce que je faisais.

Il me semble que cet esprit aventurier était dans la famille, mais qu’il s’est exprimé différemment pour chacun. C’est difficile de savoir ce qu’il y a dans la tête de quelqu’un d’autre, mais c’est sûr que cette obsession de raconter des choses, qui me prenait toute la tête (je ne voulais faire que ça, dessiner lire ou écrire, ou vivre en posant des questions, c’est encore la seule chose qui me parait logique), comme c’était une attitude différente, il y a eu des petits frottements, des incompréhensions. J’ai mis longtemps à apprendre comment vivre avec cette soif et en même temps être avec les autres humains! J’ai encore l’impression d’apprendre, et cette impression bizarre de rencontrer enfin quelqu’un de ma planète quand je rencontre un artiste dont le travail me parle.

En grandissant un peu, j’ai aussi compris que mon envie de pousser les limites, d’explorer ce qui était possible, de chercher à faire des expériences avec les mots et avec la vie, je l’ai aussi apprise en grandissant dans une famille qui avait un goût pour l’originalité et la persévérance, qui s’étaient exprimées de beaucoup de manières différentes!

En tant qu’artiste qui travaille dans le domaine du théâtre pour enfants, je me demande comment vous vous y prenez pour garder la magie de l’enfance dans la création de vos chansons?

Merci pour cette question qui déguise un compliment si lumineux!

Je ne sais pas si je m’y prends d’une manière particulière, peut-être que ce que j’essaie de faire, c’est d’écouter au mieux ce qui vient, de déjouer les filtres en quelque sorte. Est-ce que c’est ça qui vous semble faire partie de la magie de l’enfance? Le côté très spontané, étonné de tout? C’est presque étrange de parler de ça, car il faudrait probablement plus de recul alors que j’ai l’impression de nager complètement dans cet étonnement. Je me sens curieuse de tout, y compris de ce qui se passe à l’intérieur, j’ai sans cesse l’impression d’être émerveillée, et il m’arrive souvent d’éclater de rire toute seule parce que j’ai été étonnée d’une chose surgie, un dessin ou une de mes réactions par exemple.

C’est si fascinant et mystérieux, d’être vivant, d’avoir la chance de regarder et d’explorer un peu le monde. Écouter ça, c’est comme une boussole, ça aide à se placer aux endroits justes. Je passe beaucoup de temps à regarder les choses pour essayer de trier ce qui me semble sonner faux, et à protéger et célébrer ce qui me semble précieux, comme quelqu’un qui cognerait doucement des doigts sur le mur pour voir s’il est en bois ou en toc. Une fois qu’on enlève les cris de beaucoup de choses en toc, finalement, c’est facile d’être très enfantin avec le monde, oui! Pour reprendre la métaphore, si on enlève toutes les choses en toc dans la maison, ça fait soudain beaucoup de place pour danser!

Dans cette chanson, pourquoi avoir choisi de tutoyer le personnage du policier, qui est a priori une figure d’autorité?

Justement pour parler de l’humain tout nu sous l’uniforme! Je voulais parler du désarroi de ce policier censé représenter l’ordre, et qui se retrouve, peut-être, à avoir une petite craquelure de doute en se confrontant à la beauté d’une chose pas bien grave mais a priori interdite : ces deux pirates autoproclamés, entrés par effraction, la nuit, dans un manège, et qui allument tout rien que pour eux, où a lieu une aventure imaginaire, ivre, et un début de rencontre. Le policier débarque, mais désorienté par la beauté du moment qu’il vient interrompre, il bafouille…

Pour moi, ce policier, c’est à la fois la figure de l’ordre, qu’il me semble très sain d’interroger, pour que les choses ne soient pas arbitraires, et la figure de quelqu’un qui interroge lui aussi, peut-être, cet ordre. Et c’est une des choses dont parle la chanson : est ce que ce policier s’interroge, lui aussi, sur ce qu’il applique?

Ça me semblait amusant de décrire ces interrogations intérieures de cette manière. C’est une histoire que j’ai vraiment vécue, ce policier désorienté venu interrompre un moment d’ivresse et de jeu, mais en écrivant la chanson, je me suis rendue compte que la figure du policier parlait si fort parce qu’elle était aussi vraiment dans ma tête la voix qui parlait très fort en me disant : « tu n’as pas le droit », et que j’avais envie d’apprivoiser, ou de dérider en tout cas, au moins un peu. Pour ça, je tutoie le policier : déjà parce que dans la chanson, il vient en quelque sorte personnifier une partie de ma tête (donc il est familier!), mais aussi parce que dans la vie, je trouve ça très important de considérer que les gens en face de vous sont très proches, d’une certaine manière.

Vous avez écrit un jour que « faire des bêtises, c’est important dans la vie ». Pensez-vous que quand le policier de votre chanson était jeune, il faisait lui aussi des bêtises? Que lui est-il arrivé après ça?

Elle est très belle, cette question, parce qu’elle donne envie de regarder comme une créature de sang et de chair et de souffle un personnage de mot, de papier, une personne que je vois dans ma tête tous les soirs quand je la chante, avec sa petite moustache et son air pincé dans le train en plastique, mais dont j’imagine finalement très peu la vie en dehors de sa chanson.

Si on l’enlève de son milieu naturel, qui est la chanson, qui dure finalement le temps d’une engueulade et d’une question dans un manège! Eh bien, je pense qu’instantanément il se dédouble, non, il se triplouble (ce n’est pas un mot, triploubler, mais il se trouve que j’en ai besoin donc le voilà adoubé mot), il se triplouble, donc, entre le policier de la chanson, avec son uniforme imaginaire et sa moustache imaginaire, le policier qui un jour m’a vraiment disputée dans un manège avec des yeux progressivement de plus en plus attendris de comprendre qu’il se passait quelque chose de beau, qu’il était venu interrompre, et le policier dans ma tête, la voix dans ma tête qui me dit que voyons je ne devrais pas faire ça ou ça, que c’est trop farfelu, trop dangereux, trop malpoli, que ça va mal tourner, que d’ailleurs j’ai du travail… Bref, que c’est interdit par la police de ma tête.

Si je les secoue ensemble et que je leur demande ce qui se passe avant et après… Eh bien, j’imagine qu’ils me répondent qu’avant, il est arrivé tout ce qu’il arrive aux gens qui deviennent rigides, donc une des mille façons de transformer un enfant tendre et étonné en personne rasée de près non par goût mais par peur, et en chaussures cirées non par esthétique mais par ennui, et en uniforme endossé comme une identité non par amour mais par volonté de pouvoir, qui est souvent une volonté de se rassurer soi-même, une volonté de contrôle, une volonté de ne pas écouter ce qui est juste mais de le décider la main sur les yeux.

Chaque fois que je chante la fin de la chanson presque a capella, je vois le policier allongé dans son lit, les yeux ouverts et brillants dans le noir, au bord de cette hésitation, comme s’il avait peur que même le fait de balancer un peu le fasse tomber. C’est dire la peur de changer d’avis. Mais je l’imagine avec cette émotion ressurgie, un peu douloureuse, l’envie de se retrouver à la place des pirates, d’être du côté de ceux qui se permettent les choses, un peu tordus, un peu inconscients… cette petite douleur surtout de voir qu’il y en a d’autres qui acceptent ce qui est imprévisible, tordu. C’est surtout ça je crois qui est dérangeant, qui fait qu’on range vite ça dans la case de l’inacceptable, parce qu’on a peur de ce que ça peut ouvrir comme boîte, si on se met à considérer que c’est peut-être joli.

Un critique a dit à votre sujet que « Camille Hardouin n’a pas la prétention d’écrire pour représenter quelqu’un d’autre qu’elle-même ». Si c’est vrai, est-ce que les identités et les jeux de rôles — la Demoiselle Inconnue, les jeunes pirates du manège — sont pour vous un autre moyen de parler de vous-même?

En tout cas, je parle du monde depuis mon propre télescope! J’aimerais pouvoir emprunter le regard de chaque créature vivante, et c’est ça aussi cette soif des propositions artistiques diverses d’ailleurs, c’est si fabuleux de pouvoir non seulement regarder quelque chose d’inconnu ou de nouveau ou d’imaginaire, qu’on nous offre, mais aussi de regarder cette chose par le regard de la personne qui l’offre. On voit et la chose et le regard! C’est fabuleux quand même!

Donc, parler de mon expérience du monde, c’est pas tant pour parler de mon nombril, qui m’est précieux (nonobstant tout cela) parce qu’il me rappelle qu’il y a pas si longtemps j’étais accrochée à un cordon ombilical et que maintenant je suis en liberté dans le monde, mais tout de même, c’est pour plutôt dire cet étonnement, pour dire un regard, oui, comme si je pouvais poser une question, est-ce que pour vous aussi c’est ça? J’ai l’impression de visiter avec étonnement des zones émotionnelles du monde et d’essayer de les décrire le plus simplement possible. Mais bien sûr, je le fais avec mes yeux, mes mains, mes mots.

C’est une manière de montrer ou de tendre quelque chose à quelqu’un, comme un cadeau : « Tu as vu ça? C’est étrange, ou, c’est beau, non? » Quant aux figures qui apparaissent parfois dans mes histoires, comme la Bergère d’Oubli, la Zombie, ou l’Étrange petite Sirène, elles viennent incarner quelque chose, comme dans une performance où on vient dire quelque chose avec un geste, avec une situation. La Bergère d’Oubli, avec ses bras qui viennent voler les cauchemars, j’avais très besoin qu’elle apparaisse, en tout cas. Quant aux pirates de la chanson, ils sont faits de souvenirs, de mots, d’émotions… Ils se sont incarnés à partir de tout ce qu’ils ont pu trouver pour fabriquer leur corps et leurs habits! Je pense que les chansons, comme les rêves, viennent boire à plein d’endroits, et aussi qu’ils ont une part de mystère qui leur est propre et qui les rend si attachants.

Selon la poétesse Louise Glück, « la source de l’art est l’expérience, le produit fini est la vérité, et l’artiste, examinant le véritable, intervient constamment pour gérer, mentir et supprimer, toujours au service de la vérité ». Est-ce votre travail en tant qu’artiste de fabriquer de petits mensonges pour arriver à la vérité?

Tout d’abord, je ne pense pas grand’ chose en tant qu’artiste! Je fais justement très attention à bien contourner la notion de pensée, d’idée, et même de devoir, ou de travail. Je crois aussi que j’utilise assez rarement la notion de vérité, même si ça revient peut-être au même, parce que souvent je préfère la notion de justesse. Qu’est ce qui est juste? C’est ça qui m’intéresse.

La vérité, ça m’apparait justement un peu… scientifique, pas au sens curieux mais au sens froid, sûr de lui, du terme, et c’est peut-être étrange de dire ça, mais c’est assez petit comme notion, « la vérité ». Comme lorsqu’on dit « la réalité », c’est souvent pour parler seulement d’une part de la réalité, alors je me suis mise à être un peu allergique à des mots sans doute très beaux, simplement parce qu’on les utilise souvent avec rigidité ou pour réduire des notions qui me sont chères. J’ai souvent l’impression que c’est des mots qui viennent couper les possibles – pas que ce soit la faute des mots eux mêmes, les pauvres, qui se font lancer dans les possibles des gens.

Mais il me semble que c’est ce dont la citation parle, avec d’autres mots que ceux que j’utilise : faire les détours nécessaires pour arriver à ce qui est juste. Donc oui, il y a une forme de traduction pour pouvoir dire le réel. Il me semble que c’est pour ça que j’aime autant avoir l’air de parler d’autre chose pour parler de ce qui est devant moi, parce que parfois parler d’une tempête, c’est la meilleure manière de parler d’une rencontre, par exemple.

Quand j’écris quelque chose, c’est comme si il y avait une urgence, comme si la chose demandait à être dite, à naître en quelque sorte, alors voilà, dès que je peux la voir, la comprendre, je l’attrape et je la dis, et ça me paraît plus important et plus grand que moi alors je le fais avec autant de soin que possible.

Pour moi, partir d’un « devoir » ce serait écouter un jugement, plutôt qu’un instinct. J’ai envie de laisser les chansons et les histoires gambader librement, donc j’essaye de ne pas trop mettre de définitions ou d’explications autour, ou en tout cas de leur garder leur matière mystérieuse.

Pour revenir à votre question, bien sûr, il y a une forme de traduction, pour laisser la chanson dire ce qu’elle dit – essayer de dire la réalité au plus près, c’est aussi passer par des formes imprévisibles d’incarnation. C’est aussi pour ça que c’est si intéressant de regarder une chanson naître : elle prend des chemins toujours surprenants, toujours fascinants! En quelque sorte, je crois qu’elle ne se nourrit pas seulement du réel, ou de l’imaginaire, des mensonges comme vous dites, mais qu’elle vient surtout les enrichir – les révéler, avec plus de facettes et de connexions que ce qu’on pouvait voir au départ. Voilà!

 

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VOCABULAIRE

frottement : friction
déjouer : faire échouer, tromper
émerveillé : étonné, admiratif
surgir : apparaître soudainement
une boussole : cadran dont l’aiguille pointe vers le nord
cogner :
donner des coups avec le poing (à la porte, p. ex.)
en toc : se dit de ce qui est faux, une imitation
craquelure : fissure, craque
bafouiller : parler peu clairement, de façon incohérente
sain : bon pour la santé
apprivoiser : rendre une personne ou un animal plus social
dérider : rendre quelqu’un plus heureux
pincé : qui manifeste du dédain, de la froideur
engueulade : échange de paroles violentes et désagréables
adouber : donner un titre à quelqu’un
farfelu : bizarre, un peu fou
endosser :
porter, mettre sur le dos
ressurgir : revenir à la surface
tordu : extravagant, bizarre, compliqué
nombril : cicatrice du cordon ombilical, au milieu du ventre
nonobstant : malgré, sans égard à
incarner : représenter, tenir le rôle de quelqu’un
contourner : faire le tour de quelque chose, de quelqu’un, pour l’éviter

Filed Under: Chanson Française : Enseignement / Teaching French Songs

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